La Folle Journée 2015 — Entretien avec Michèle Guillossou

28 Janvier 2015

Michèle Guillossou est chargée d’une partie de l’organisation et de la gestion de la Folle Journée de Nantes. À une semaine du début de l’évènement, elle m’a accordé un long entretien dans lequel elle évoque ses missions, les comptes, la place de la culture… Et il n’y a pas besoin de poser beaucoup de questions pour qu’elle livre — mieux, qu’elle raconte, avec enthousiasme et générosité.

 

Pouvez-vous nous rappeler quel est le poste que vous occupez et nous parler de vos fonctions ?

Je suis directrice générale de la société d’économie mixte la Folle Journée, c'est a dire la société qui est missionnée pour produire l'évènement et ce qui y est associé. La particularité de cette société, c’est qu’elle est financée à la fois par des capitaux privés et publics. Du côté de ces derniers, la majorité est détenue par la Ville de Nantes. Le conseil d’administration est entre autres composé d’élus de la Ville de Nantes. Pour la Folle Journée, il s’agit donc aussi de mettre en œuvre une politique culturelle de la Ville.

René Martin est le directeur artistique et le concepteur de la Folle Journée. Il avait organisé l’inauguration de la Cité des congrès avec une intégrale des symphonies de Beethoven, et en 1994, ayant pris la mesure de l’outil que représente cette Cité, il a proposé à Jean-Marc Ayrault, alors maire de Nantes, un évènement qui exploiterait les possibilités du lieu. Quand j’entends aujourd’hui le discours tenu par les responsables de la Philharmonie de Paris, avec la multiplicité d’espaces musicaux réunis autour de lieux de concerts au sens plus classique, je me dis : « nous, avec la Folle Journée, c’est ce que nous faisons aussi, depuis plusieurs années ! »

Il me paraît important de faire remarquer que nous travaillons aussi dans une optique de médiation culturelle. Toute l’année, nous œuvrons à créer du lien intersocial, intergénérationnel, à intégrer la formation professionnelle… Nous avons bâti un réseau de personnes qui bénéficient des effets d’onde de la Folle Journées. Par exemple, des personnes en situation de précarité ont créé un petit journal, intitulé Koncerto, sur la Folle Journée. Ils sont chargé d’une communication de proximité : ils vont à la rencontre des artistes, des institutions, mais aussi du luthier, des guichetiers, des techniciens… Mais nous avons aussi des exigences de qualités. Ainsi, un journaliste professionnel les a épaulé, leur a appris les bases de l’écriture journalistique par exemple.

Parmi les 140 000 billets délivrés à ce jour [mercredi 21 janvier au matin], 10 000 l’ont été à des personnes éloignées de la musique “classique”, qui ont bénéficié d’une médiation, par les réseaux d’habitation sociale, les institutions scolaire… Je dis 10 000 billets : il s’agit bien de 10 000 personnes différentes dans ce cas précis, qui ont bénéficié d’un tarif réduit à 5 €. Ceci est rendu possible non seulement par la petite équipe que je dirige (trois personnes plus des jeunes gens qui effectuent un service civique), mais aussi par les institutions partenaires.

Je dirais donc que ma mission est double : d’un côté, il y a la réussite de l’évènement, mais de l’autre, il y a aussi la médiation. C’est presque militant. La démocratisation de la musique n’est pas un vain mot. Nous ne nous contentons pas de “délivrer des billets”, nous sommes aussi sur le terrain. Nous faisons faire de l’éveil musical aussi bien à des jeunes, dans des écoles, dans des maisons de quartiers, mais aussi à des personnes souffrant de maladies comme celle d’Alzheimer. On leur fait donner des concerts. Du côté des jeunes, ceux qui sont déjà praticiens de la musique sont encadrés par des professionnels dans des ateliers de transcription et cela donne lieu à un concert pendant la Folle Journée de Nantes.

Nous travaillons également avec l’école de la deuxième chance. Cette année, nous avons envisagé un projet un peu fou. Partant du constat que beaucoup de gens toussent pendant les concerts — on est en hiver ! —, nous avons eu l’idée de confier comme mission à une dizaine de jeunes de cette école de la deuxième chance de gérer la distribution de pastilles au miel. Ils ont dû aller à la conquête des producteurs pour qu’ils fabriquent les bonbons. Ils ont travaillé avec un de mes collaborateurs qui leur a dispensé un cours de marketing, ils ont travaillé avec Solanges Désormières [attachée de presse] pour rédiger un communiqué de presse… Nous en somme à réfléchir à comment nous allons pouvoir distribuer ces bonbons en respectant les règles d’hygiène. C’est très formateur pour ces jeunes.

Nous entrons ainsi en contact avec des personnes très éloignées du domaine de la Folle Journée. Par la suite, beaucoup de ces jeunes viennent au concert et sont séduits.

Je m’applique à ce que la Folle Journée bénéficie au-delà du public. Par exemple, dans le choix des billettistes, je me fixe comme règle d’embaucher 15 à 20 % de jeunes en difficulté. De même, dans l’appel d’offre pour le traiteur, je demande aux prestataires de me proposer une proportion de jeunes ou moins jeunes en difficulté de recherche d’emploi.

Mon but, c’est d’équilibrer des comptes tout en répondant à une politique culturelle locale (puisque la ville de Nantes donne un cinquième du budget), en veillant à ce que les retombées soient les plus larges possibles, et en tâchant de ne pas augmenter le prix des billets.

 

La Folle Journée 2015 — Entretien avec Michèle Guillossou

Justement, si vous le voulez bien, parlons budget.

Le budget total est de presque cinq millions d’euros. Je l’ai dit, le financement se répartit entre le public et le privé, de manière presque équivalente. La ville de Nantes donne environ un million d’euros. S’y ajoutent la Région Pays de la Loire, le Département Loire-Atlantique, la DRAC. Au total, on arrive à quelque chose comme 1,2 million d’euros, soit 27 % du budget. De l’autre côté, le financement représente 26 %. Il se répartit entre quelques partenaires de premiers plans, comme le CIC, GDF-Suez, mais aussi soixante-cinq entreprises que nous animons dans un club et qui mécènent à hauteur d’un forfait de 3200 ou 6400 €. En somme, le monde économique qui bénéficie de l’évènement s’implique financièrement. Nous avons chiffré les retombées économiques avec l’IUT et la Chambre de Commerce : pour 1 € investi, on a 2 € de retombées économiques sur la métropole. Enfin, le troisième pôle du budget, c'est la billetterie : 47 %. C’est une proportion importante.

 

Et du côté des dépenses ? On parle souvent des financement, moins souvent de la façon dont le budget est utilisé.

Trois millions d’euros sont alloués au plateau artistique — qui n’inclut pas les techniciens. Contrats de travail, de cessions de droits, SACEM, charges sociales, déplacements, hébergement (310 000 € d’hébergement, par exemple), 10 000 repas (qui bénéficient aussi à d’autres personnes que les artistes, comme le personnel technique ; cela représente 140 000 €)… Nous voulons que les gens qui viennent faire leur métier à la Folle Journée repartent avec la satisfaction d’avoir été bien reçu. Cet argent est autant que possible dépensé dans la Région. Je fais figurer dans le cahier des charges du traiteur, par exemple, d’utiliser au maximum des produits issus de la production régionale. Je privilégie les entreprises locales — c’est un choix, il faut ensuite le justifier car nous sommes dans des appels d’offres publics. Les hôtels nantais sont également bien contents de la clientèle que nous leur apportons avec les artistes.

Dans les deux millions d’euros restants, il y a la location de la Cité, le lieu d’accueil, avec tout son personnel de fonctionnement, les contrats des personnels embauchés pour l’occasion (billettistes, techniciens, personnels de sécurité…), des achats divers et variés, la location des véhicules de transports. C’est une agence qui encadre les mouvements des artistes. Il y a 1800 artistes, ils doivent être à l’heure aux concerts, pouvoir répéter, mais aussi manger et dormir…

Du côté de la communication, nos partenaires médias assurent la réalisation, environ 500 commerçants font de l’affichage et nous mettons en jeu chez eux des places à gagner… Ce qui coûte le plus cher, ce sont les impressions. Il y a encore un public qui a l’habitude de recevoir son programme sur papier, et nous l’envoyons à 25 000 personnes. Cette année encore nous l’avons fait, car le programme électronique est resté (relativement) peu téléchargé. Globalement, nous pouvons tout de même dire que nous faisons l’économie d’une coûteuse campagne de communication.

Ce n’est pas toujours simple. Les gens s’imaginent que la Folle Journée est riche, que nous arrivons les bras chargés de richesses. Il n’a pas été évident de convaincre certains partenaires qui se disaient, « oh, la Folle Journée, avec tout ce qu’ils ont… » Mais ce que nous avons ne vient pas de nulle part, et les gens ne mesurent pas toujours les dépenses.

Je sens qu’il y a encore beaucoup d’idées préconçues, de verrous. Il faut que les projets partent des besoins, et pas de vues de l’esprit. Il faut être à toute l’année — nous avons par exemple offert un concert de noël dont ont bénéficié les publics que nous accompagnons ; nous organisons des animations tout au long de l’année, que ce soit en amont pour préparer ou en aval pour recueillir des vécus, on fait le bilan, on produit aussi des créations partagées à partir de ce qui a été vu et entendu à la Folle Journée. Il ne suffit pas d’apporter des billets et d’oublier les gens.

 

En tant que personne qui travaillez dans le monde culturel, quel regard plus large portez-vous sur ce monde, en France et en Europe ?

Je pense qu’en France, aujourd’hui, on commence à prendre conscience du caractère économique de la culture, que ce soit du point de vue des financements ou des retombées. Je suis persuadée que si nous avions commencé par faire une Europe des cultures, par établir des liens solides de provinces à régions, à comtés, avec des échanges purement culturel, l’Europe économique aurait pris davantage de sens. On a fait l’inverse, on a cru qu’une monnaie unique pouvait unifier. C’était peut-être une erreur. D’autre part, nous devons prendre conscience du pouvoir de la culture à tisser du lien. Il faut aller au-delà du caractère évènementiel : l’évènement n’est que l’illustration.

Il me plaît de rencontrer des femmes de Malakoff [un quartier “difficile”, peu favorisé, de Nantes] et de passer un moment avec elles, de leur faire visiter la Cité des congrès, de les faire venir à un concert. On leur fait prendre conscience que les outils culturels sont aussi pour elles.

La culture, c’est la liberté humaine : il faut le rappeler, le ramener au premier plan. L’obscurantisme détruit, la culture rend la dignité. Oh, je ne fais pas de leçons ! C’est simplement une réflexion que ma position m’a inspiré, quand l’esprit s’éloigne un peu des strictes contraintes de la production.

Propos recueillis le mercredi 21 janvier 2015. Je remercie chaleureusement Michèle Guillossou de sa disponibilité, et Françoise Jan qui s’est chargée d’organiser cet entretien.

Crédits photo : D.R.

Rédigé par L’Audience du Temps

Publié dans #La Folle Journée, #Entretien

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