Carl Philipp Emanuel Bach en trio par Alexis Kossenko et Les Ambassadeurs

9 Novembre 2014

Quand l’information que nous allions avoir une sorte de suite aux deux volumes de concertos pour flûte de Carl Philipp Emanuel Bach enregistrés par Alexis Kossenko et ses troupes m’est parvenue, par des voies détournées et les réseaux sociaux, je ne pouvais que m’en réjouir. J’avais eu l’occasion d’écrire grand bien du second volume de ces concertos sur Muse Baroque (c’était il y a un certain temps et j’étais fort jeune). Alors des sonates en trio, de ces sonates en trio qui sont si rarement jouées, ces « joyaux dont chacun a sa personnalité propre » et auxquels il convient de « rendre la place qu’ils méritent : au firmament de la musique de chambre », comme l’écrit Alexis Kossenko dans le texte du livret — des sonates en trio, dis-je, c’était presque inespéré.


Trio Wq 150, I, Allegro

Je viens d’évoquer le texte écrit par le flûtiste. Difficile de faire mieux : il est clair, il est enthousiaste, il est concis et précis, il est rigoureux mais sans sécheresse, il est élégant — il est, en fait, à l’image du jeu d’Alexis Kossenko. Loin de moi, donc, de prétendre m’y substituer ou le répéter : référez-vous-y.

En tout point, cette version de quatre sonates en trio augmentées d’une sonate pour flûte et basse continue et d’une autre pour clavecin obligé et violon est exemplaire. D’abord, par la perfection de la facture technique, les interprètes se jouent des difficultés, ils ne font pas de démonstration : ils font de la musique. Ils ne donnent pas non plus dans le “trop” : il est clair que la musique de chambre ne saurait être, comme les pièces solistes pour clavier, le lieu d’une expression strictement personnelle, il y a quelque chose de plus conventionnel… En d’autres termes, on ne peut sans doute pas, dans ces pièces, en faire autant que dans celles pour le seul clavier, ce serait hors de propos, parce qu’il y a indéniablement quelque chose de plus “collectif”, si je puis dire — qui n’empêche pas le tourbillon des affetti, mais l’amène différemment. Alexis Kossenko et son équipe , animés d’un même souffle, ont trouvé la juste mesure : ils chantent, ils sentent (empfinden) et font sentir à l’auditeur. Passionnant — qui déclenche la (les) passion(s) — mélange d’équilibre, d’honnêteté et de sensibilité, de beauté, de rondeur, de chaleur des timbres et tantôt de vivacité, tantôt de lyrisme incandescent. À aucun moment les quatre musiciens ne sont guettés par l’inexpressivité, chaque phrase est réellement une phrase, cette musique, sous leurs doigts, raconte véritablement quelque chose sur le monde — le trio en la majeur, surtout en son premier mouvement, a quelque chose de mondain, de galant au sens noble du terme (voir Robert O. Gjerdingen, Music in the Galant Style: Being an Essay on Various Schemata Characteristic of Eighteeth-Century Music…, Oxford University Press, 2007, introduction : l’auteur y montre, entre autres, que l’adjectif galant renvoie en premier lieu à une manière de se conduire en société et qu’il est une qualité essentielle) et l’on imagine assez bien, à l’écoute, les scènes auxquelles il pourrait se référer — mais aussi sur l’âme humaine (le trio en sol Wq 144).


Trio Wq 146, II, Andante

J’adhère donc pleinement à ce disque et le conseille sans aucune réserve, avec toutefois un petit regret : qu’il n’est pas fait l’objet d’une publication séparée et ne puisse être obtenu que dans un coffret le réunissant aux deux volumes de concertos : j’ai déjà le pressage original desdits concertos, et je ne suis pas le seul, et il est dommage qu’un tel joyau coure le risque de passer inaperçu. Les trois disques ont néanmoins en commun de constituer des jalons majeurs dans l’interprétation de la musique de Carl Philipp Emanuel Bach.

Carl Philipp Emanuel Bach (1714–1788) :
Sonates en trio pour flûte, violon et basse continue en sol majeur Wq 150 (H 574) et Wq 144 (H 568), en la majeur Wq 146 (H 570), en majeur Wq 151 (H 575) ; Sonate en mi mineur pour flûte et basse continue en mi mineur Wq 124 (H 551) ; Sonate pour clavecin et violon en si bémol majeur Wq 77 (H 513)

Alexis Kossenko, flûte traversière
Zefira Valova, violon
Tormod Dalen, violoncelle
Allan Rasmussen, clavecin

Alpha, 2014, avec une réédition des deux volumes de concertos pour flûte. Le coffret peut être acheté sur le site de l’éditeur ou à votre crèmerie habituelle, et en version numérique sur Qobuz.

Rédigé par L’Audience du Temps

Publié dans #Domaine germanique, #Carl Philipp Emanuel Bach, #Musique de chambre, #Alexis Kossenko

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