Un voyage symphonique de Mendelssohn par Frans Brüggen

8 Septembre 2013

Le romantisme musical est marqué par un vaste essor symphonique. À la suite de Beethoven, Schubert, Mendelssohn et même Schumann ont composé des symphonies et des pièces orchestrales monumentales. Pourtant, si l’œuvre beethovenien a été bien servi au disque sur instruments anciens — outre la très belle intégrale de Gardiner, Brüggen en a fait deux et Immerseel en a proposé une aussi —, de même d’ailleurs que Schubert, quoiqu’avec plus d’inégalités — trois intégrales importantes, mais toutes trois inégales : Brüggen (Philips, épuisé), Immerseel (récemment rééditée par Zig-Zag) et la demi-réussite de Minkowski —, Mendelssohn a été bien moins choyé : sans aucune véritable intégrale historiquement informée, certaines symphonies restaient bien peu documentées — en particulier les deux premières —, d’autres — les troisième et cinquième — un peu plus, et seule la quatrième, dite Italienne avait la faveur de nombreux enregistrements — dont Mackerras avec l’Orchestra of the Age of Enlightenment, Krivine…

Ce qui se rapproche le plus d’une intégrale est en fait le double disque que Brüggen avait consacré aux symphonies 3 à 5, chez Philips, désormais bien introuvable. S’y joignaient par ailleurs — judicieuse idée — les ouvertures Die Hebriden et Meeresstille und glückliche Fahrt.

S’il n’a pas repris tout ce programme, Brüggen nous offre, chez Glossa cette fois, une lecture remarquable de deux symphonies qui sont comme faites pour aller ensemble : les troisième et quatrième, l’Écossaise et l’Italienne.

Les deux œuvres sont intimement liées et constitue véritablement un diptyque, et ce d’abord par leur histoire. L’Écossaise a été commencée en 1829, lors d’un voyage en Écosse — comme son nom l’indique —, et en particulier à la suite de la visite que Mendelssohn fit à Holyrood, où Mary Stuart vécut et mourut. C’est, d’après Mendelssohn lui-même, dans une lettre adressée à sa famille, dans la chapelle du lieu que le thème qui ouvre la symphonie lui est venu.

L’inspiration de Mendelssohn était, paraît-il, capricieuse, et il se montrait souvent peu satisfait de son travail. Aussi de nombreuses œuvres ont connu une longue gestation ; l’Écossaise resta inachevée quand Mendelssohn partit ensuite en Italie, à l’été 1830. Là, il tenta de reprendre et de poursuivre sa symphonie, en vain. Et il en entreprit une autre, l’Italienne, terminée en 1833 dans sa première version — enregistrée ici — mais que Mendelssohn remaniera à de nombreuses reprises par la suite, et qu’il ne publiera jamais. Quant à l’Écossaise, elle ne fut achevée qu’en 1842, treize ans après avoir été commencée. Sa composition encadre celle de l’Italienne.

Il est piquant de constater que Schumann, à la publication de l’Écossaise, en 1843, la trouva très… italienne ! Qu’importe, au fond, la titulature, comme l’écrit, non sans humour, Roeland Hazendonk dans la notice qui accompagne le disque :

Mais que se passerait-il sans les sous-titres des symphonies ? Le premier mouvement de la symphonie Italienne n’est pas spécifiquement italien ; on pourrait aussi bien songer à un jour ensoleillé en France ou, pourquoi pas, en Écosse. S’il nous était dit que la musique décrit le cœur en fête de Mendelssohn courant vers l’amour de sa vie, nous pourrions aussi l’imaginer faisant de même sous une pluie battante et penser que la musique exprime parfaitement son programme.

Au diable donc les programmes et dénominations ! Ils ne doivent servir qu’à désigner, et non pas à guider le jugement.

Parmi les autres aspects qui lient l’Écossaise et l’Italienne, leur tonalité : la première est en la mineur, la seconde en la majeur ; et leur surprise finale : tandis que l’Italienne, commencée en majeur, s’achève en mineur, c’est l’inverse qui se produit dans l’Écossaise.

À l’ouverture du disque — qui commence par l’Italienne —, la prise de son surprend, et même inquiète un peu. Les choses semblent un peu voilées et déséquilibrées. Rapidement, cependant — du moins à mon avis —, on s’y fait, et l’écoute s’en trouve modifiée. La première phrase des violons, souvent héroïque et pimpante, est ici plus tendre, plus lyrique… Le lyrisme, dans l’ensemble, est à l’honneur dans cette nouvelle version des deux symphonies par Frans Brüggen. La lecture frappe globalement par son soin du détail — seul le début du Vivace non troppo de l’Écossaise s’avère un peu brouillon et met quelques mesures à trouver son tempo, trahissant l’enregistrement en direct — et la qualité du phrasé.

Brüggen s’y montre habile dramaturge, ménageant ses effets, ne les outrant jamais, mais point avare cependant : les contrastes sont saisissants. L’Orchestra of the 18th century enchante par ses couleurs, virevolte, chante, se déchaîne aussi, et met habilement en valeur la qualité de l’orchestration de Mendelssohn et ses subtilités. Voilà du romantisme, avec tous ses excès, son emportement, sa fougue de jeunesse — l’Italienne — et ses tourmentes dramatiques — l’Écossaise, brûlante d’intensité, et dont chaque mouvement, ici, est plus qu’un bijou.

Comme je l’ai dit plus haut, si l’Italienne a eu plusieurs fois l’honneur d’enregistrements historiquement informés, un seul* venait documenter l’Écossaise : comme cet enregistrement était épuisé (Brüggen chez Philips), ce nouvel opus chez Glossa vient combler un manque, et ce, de façon magistrale, car la version que nous proposent Brüggen et l’Orchestra of the 18th century de cette symphonie et de sa sœur Italienne est des plus réussies et, pour peu qu’on parvienne à passer outre une prise de son surprenante — ce qui est mon cas et, à mon sens, ne demande pas trop d’effort — nous enlève dans les plus hautes sphères.

Felix Mendelssohn Bartholdy
Symphonies 3, Écossaise, et 4, Italienne

Orchestra of the Eighteenth Century
Frans Brüggen

Glossa, 2013.

Ce disque peut être achetée sur le site de l’éditeur ou ici.

Comme les mouvements sont longs, je ne vous propose qu’un seul extrait, le dernier mouvement de l’Écossaise. Deux autres extraits peuvent être écoutés sur le site de sur le site de Glossa. En complément, l’ouverture Die Hebriden enregistrée par Brüggen pour le double disque Philipps de 1997.

* P.S. En fait deux. Il y a aussi une version de Roger Norrington avec les London Mozart Player, que j’ai, et à laquelle je ne pense jamais — je crois que c’est tout dire.

Rédigé par L’Audience du Temps

Publié dans #Mendelssohn, #Domaine germanique, #Frans Brüggen, #Glossa

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G
Je suis d'accord avec votre analyse très pointue de l'oeuvre présente et vous remercie
L
C’est moi qui vous remercie de votre passage et de votre mot ! Les commentaires font toujours plaisir, et d’autant c’est un disque pour lequel j’ai une particulière affection.