Falconieri & compagnie par La Ritirata : l’invitation à la danse et au voyage
16 Juin 2013
Chaque nouvelle réalisation du label Glossa est avidement guettée par l’auteur de L’Audience du Temps, tant ce label a su se hisser, depuis longtemps maintenant, au premier rang de ceux qui proposent des réalisations souvent aussi passionnantes que soignées. Quand de plus le disque présente un nouvel ensemble et un compositeur peu illustré si ce n’est par quelques « tubes », la tentation devient grande. Quand enfin la couverture du disque est aussi enchanteresse, il me devient quasiment impossible de résister.
Car si le nom d’Andrea Falconieri est connu, c’est surtout pour quelques pièces de son Primo Libro di Canzone, Sinfonie, Fantasie, Capricci, Brandi, Correnti, Gagliarde, Alemane, Volte per Violini e Viole ouero altro Stromento a uno, due e tre con il Basso Continuo publié en 1650 : la Passacalle, la Battaglia de Barabaso yerno de Satanás, la chaconne de L’Eroica, éventuellement les Folias hechas para mi Señora… Mais qui connaît, par exemple, Il Spirtillo Brando qui donne son titre à cet enregistrement ? Voilà donc en premier lieu un disque qui offre un aperçu plus global de l’œuvre de Falconieri : douze pièces, dont les quatre célèbres mentionnées ci-avant, constituent le cœur de ce programme.
Douze pièces, alors que le disque compte au total vingt-quatre pistes (et pièces, les deux concordent) ? C’est une des surprises de cette réalisation. Si la couverture annonce Falconieri, la moitié du programme explore en fait le contexte musical qui l’entoure. Ainsi, Falconieri était, comme l’indique la page de titre du Primo Libro, « Maestro della Real Cappella di Napoli ». Parmi ses prédécesseurs, le nom de Diego Ortiz est assez connu du public de la musique ancienne, pour son Trattado de glosas — Jordi Savall, en particulier, l’illustra abondamment. Quelques recercadas, confiées ici à la flûte à bec et au continuo, en sont tirées, et c’est sur l’une d’elle que s’ouvre d’ailleurs le disque.
Les autres compositeurs sont des contemporains de Falconieri. Ainsi, on y trouve Bartolomé de Selma y Salaverde, formé en Espagne — rappelons que le royaume de Naples était rattaché à la couronne d’Aragon depuis Ferdinand le Catholique —, officia au service de l’archevêque de Salzbourg et publia son seul ouvrage connu, les Canzoni, fantasie e correnti, à Venise, en le dédiant au prince de Pologne et Suède. Juan Bautista Cabanilles et Giovanni Gabrieli furent tous deux organises, l’un à Valence, l’autre à Venise, tandis qu’un autre Gabrielli (avec deux l celui-là), Domenico, était violoncelliste, tout comme Giovanni Battista Vitali et Giuseppe Maria Jacchini — et comme Josetxu Obregón qui dirige l’ensemble La Ritirata.
C’est donc un programme composite que nous propose La Ritirata, mais cohérent, alternant les pièces directement inspirées par la danse — branle (en italien brando), passacaille, chaconne, courante — et les pièces plus libres — sonates, toccatas, fantaisies, ricercares. De brèves introductions — souvent confiées aux cordes pincées — assurent, çà et là, les transitions et plantent le décor. Les pièces s’enchaînent, sans brutalité aucune, et invitent l’auditeur à se laisser porter. De la diversité des genres, des compositeurs et des instrumentations résulte une agréable variété, comme on verrait défiler les paysages au cours d’une promenade.
Les instrumentistes de La Ritirata jouent avec enthousiasme, mais sans tapage superflu. Les effets, savamment dosés, sont diantrement efficaces et ne tombent jamais dans l’excès et le mauvais goût. Ainsi, l’emploi abondant des percussions ne vient jamais déséquilibrer l’ensemble, et ne fait que souligner. Une oreille attentive, d’ailleurs, remarquera que le résultat aurait été tout aussi net sans percussions, et qu’elles n’apportent qu’un soupçon de fantaisie. Chacun mériterait d’être cité, tous sont excellents. Il n’y a pas de “star”, même dans les pièces solistes, mais une aimable bonne humeur à jouer, tout à fait communicative. C’est particulièrement flagrant chez Josetxu Obregón, dont le violoncelle est chaleureux et bonhomme, précis et virtuose quand il le faut — dans la Fantasia de Selma y Salaverde, par exemple —, plus léger et sautillant en d’autres endroits… et ses basses sont fermes. Le théorbiste Daniel Zapico assure aussi des basses pleine d’aplomb et d’ampleur. Les flûtes à bec de Tamar Lalo brillent par la qualité de leur son, de leur phrasé, de leur articulation. Les violons — Miren Zerberio et Raúl Orellana — sont fins. L’ensemble des cordes pincées forme un volubile tapis pour les mélodies qui se posent dessus… Non, vraiment, on ne sait plus que louer.
C’est aussi l’ensemble qui est remarquable — aussi bien l’ensemble des musiciens que l’ensemble du disque. Chaque pièce est instrumentée avec soin, mais sans changer d’instrumentation à tire-larigot, et l’écriture toujours subtilement mise en valeur.
Il Spirtillo, c’est une sorte de lutin qui, d’après la fantaisie populaire, vit dans les rues de Naples et va de maison en maison, servant à justifier les défauts des humains. Les défauts de La Ritirata sont aussi négligeables que possible, mais la fantaisie, elle, est toujours au rendez-vous. Josetxu Obregón et son ensemble (et Glossa) nous offrent une réalisation exemplaire, entraînante, réjouissante sans être superficielle, bref : un très joli disque qui, comme le spirtillo, enchante.
Il Spirtillo Brando
Œuvres d’Andrea Falconieri, Diego Ortiz, Giovanni Battista Vitalia, Dario Castello, Giuseppe Maria Jacchini, Juan Cabanilles, Bartolomé de Selma y Salaverde, Giovanni Gabrieli et Domenico Gabrielli
La Ritirata
Josetxu Obregón, violoncelle et direction
Glossa, 2012.
Ce disque peut être acheté sur le site du label ou ici.
Extraits proposés :
1. Andrea Falconieri : Il Spirtillo Brando et Brando dicho el Melo.
2. Giovanni Battista Vitali : Toccata et Bergamasca.
3. Andrea Falconieri : Passacalle.
D’autres extraits peuvent être écoutés sur le site de Glossa.